Les deux lauréats 2005 du prix Nobel d’économie, Thomas C. Schelling et Robert J. Aumann, ont été primés pour leur contribution à la « théorie des jeux ». Le premier fut en fait le théoricien de l’escalade militaire lors de la guerre du Vietnam et justifie aujourd’hui la non-ratification du protocole de Kyoto et l’abandon des objectifs de l’ONU pour le millénaire. Le second est un ésotériste talmudique qui a théorisé l’usage de la punition collective pour opprimer les Palestiniens.
Considérant probablement que
Robert J. Aumann, théoricien de l’oppression militaire
Laissons de côté le cas quelque peu folklorique du mathématicien cabbaliste Robert J. Aumann, dont l’apport principal à l’humanité aura été d’appliquer la théorie des jeux à la lecture du Talmud, notamment pour résoudre le cruel dilemme de la répartition de l’héritage de l’homme aux trois veuves. Le lauréat s’est également illustré par ses recherches ésotériques sur les codes cachés de
Plus prosaïquement, Robert J. Aumann a théorisé le principe de la « coopération forcée » par « crainte de la sanction » au traitement infligé aux Palestiniens, une méthode qui, en instituant des punitions collectives, viole les Conventions internationales. Il milite au sein d’une organisation extrémiste, Professors for a Strong Israël, qu’il a contribué à créer pour saboter les accords d’Oslo. Partisan du Grand Israël, sur une base juive raciale, il est opposé à la création d’un État palestinien et fait aujourd’hui campagne contre Ariel Sharon et pour l’annexion de Gaza.
Concentrons-nous sur le cas exemplaire de son co-lauréat.
Thomas C. Schelling, théoricien de l’escalade militaire
Né en 1921, Thomas C. Schelling poursuivit ses études d’économie à l’université de Berkeley pendant
La famille Harriman était devenue une des grandes fortunes des États-Unis depuis la construction du chemin de fer du Pacifique. Dans les années 30, Averell avait financièrement soutenu l’ascension du chancelier Hitler en Allemagne, dont il partageait aussi bien les idées eugénistes que l’obsession anti-communiste. Il avait cependant changé de camp, en 1941, considérant que l’impérialisme nazi mettait en danger la domination anglo-saxonne des mers. Ses affaires étaient alors dirigées par son fondé de pouvoir, Prescott Bush (grand-père de George W.), et défendues par le cabinet d’avocats d’Allen Dulles (futur patron de
Le Plan Marshall était un projet de reconstruction de l’Europe visant à garantir les investissements états-uniens à la fois en créant un marché intérieur et en biaisant les processus politiques pour que les communistes ne puissent pas accéder démocratiquement au pouvoir.
Lorsqu’Harriman fut nommé secrétaire au Commerce par le président Truman, Schelling le suivit à Washington. Il fut affecté au staff présidentiel pour y suivre les questions du commerce international. Il perdit son poste avec la défaite des démocrates à l’élection présidentielle et se consacra alors quelques années à l’enseignement à l’université de Yale.
En 1958, il est recruté par
Schelling se trouve immédiatement plongé dans les négociations sur le désarmement à Genève. Elles sont conduites par Paul Nitze, le maître de
Selon lui, la dissuasion ne doit pas un être un jeu à somme nulle, dans lequel chacun craint de perdre autant que l’autre, mais un mélange de compétition et de coopération tacite. De même que, sur la route, on peut chercher à dépasser une voiture sans pour autant la verser dans le fossé, au cours de
Cependant à l’époque, la pensée dominante à Washington restait celle de la « riposte massive ». Pour convaincre de l’efficacité de sa théorie, Thomas C. Schelling fit appel à son ami John McNaughton, devenu le principal conseiller du secrétaire à
Quoi qu’il en soit, en 1964, le conseiller national de sécurité McGeorge Bundy, inquiet que les officiers états-uniens ne répètent au Vietnam les délires du général Douglas MacArthur en Corée (qui se proposait de « vitrifier » le pays pour en finir une fois pour toutes avec les communistes), demanda à John McNaughton et à Thomas C. Schelling de planifier une stratégie graduée, c’est-à-dire un scénario incluant des provocations et permettant une escalade jusqu’à ce que les Nord-Vietnamiens plient. Ils conseillèrent de procéder à des campagnes de bombardement à durée croissante. La première, connue sous le nom d’opération Tonnerre roulant (Rolling Thunder), fut lancée du 2 au 24 mars 1965. N’ayant aucune influence sur la détermination du peuple vietnamien, elle fut suivie de plusieurs autres, jusqu’à devenir un déluge de feu sur le pays et ses voisins. 6 millions de tonnes de bombes plus tard, la théorie des jeux de Thomas C. Schelling avait fait 2 millions de morts. Robert McNamara démissiona de ses fonctions pour se consacrer à la présidence de
À la suite de ce désastre, Thomas C. Schelling retourna enseigner à Harvard, tout en assurant un travail de consultant pour le CIA. C’est dans cette période qu’il commenca à appliquer la théorie des jeux aux négociations commerciales internationales et qu’il publia Micromotives and Macrobehavior (1978), suivi de Choice and Consequences (1984).
En 1990, après avoir pris sa retraite de professeur d’université, Thomas C. Schelling rejoignit l’Albert Einstein Institution, un institut de recherche devenu officine de
Thomas C. Schelling revint sur le devant de la scène, en juin 2002, lorsqu’il publia un retentissant article dans la revue du Council of Foreign Relations, Foreign Affairs, pour justifier le refus du président George W. Bush de ratifier le Protocole de Kyoto. Selon lui, le lien entre l’émission de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique ne serait pas clairement démontré et aucun État n’envisagerait sérieusement de faire des efforts coûteux pour le réduire. Surtout, le mechanisme du Protocole serait basé sur l’adhésion à de généreux principes énoncés par des Prix Nobel, mais pas sur un système de concessions réciproques. Et le professeur de poursuivre qu’il n’existe que trois expériences d’engagement économique multinational réussies : le Plan Marshall, l’OTAN et l’Organisation mondiale du Commerce. Dans tous ces cas, les États-Unis avaient d’abord fixé les règles, puis avaient institué des systèmes de régulation dans lesquels chaque État membre se justifie devant les autres et surveille les autres, de sorte que Washington impose une règle sans avoir à en faire la police.
Au printemps 2003, Thomas C. Schelling fut l’un des huit experts réunis par Bjorn Lomborg à Copenhague pour évaluer les objectifs du millénaire, c’est-à-dire les programmes mis en place par l’ONU, lors d’une réunion parrainée par The Economist et financée par
Si l’œuvre théorique de Thomas C. Schelling s’est avérée expérimentalement inopérante, donc scientifiquement erronnée, il n’en est pas moins vrai qu’il a apporté une contribution significative à notre temps : il a montré que les autorités états-uniennes abordent avec les mêmes outils cognitifs la guerre et le commerce international. De son côté son ancien collègue devenu co-lauréat, Robert J. Aumann, après avoir rêvé de numérologie biblique, a montré que les colons israéliens pouvaient opprimer les Palestiniens en déshumanisant leurs crimes au point de les transformer en formules mathématiques. Il n’est pas sûr que
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