Les États-Unis voudraient utiliser le souvenir des attentats de Buenos Aires de 1992 et 1994 pour étoffer leur dossier contre les musulmans chiites. La plupart des encyclopédies continuent en effet à attribuer ces massacres au Hezbollah ou à l’Iran. Mais ces accusations ont fait long feu,
Or, cette version des faits a été entre temps démentie par
Pour comprendre les enjeux de cette polémique, souvenons-nous de ces attentats.
Le 17 mars 1992 une violente explosion détruisait l’ambassade d’Israël à Buenos-Aires et endommageait gravement une église catholique et une école adjacentes. 29 personnes furent tuées et 242 autres furent blessées.
Dans un premier temps, l’enquête s’orienta sur la piste islamique. L’attentat avait été commis par un kamikaze palestinien utilisant une camionnette bourrée d’explosifs. Il aurait appartenu au Jihad islamique et aurait voulu venger l’assassinat par Israël du leader du Hezbollah libanais cheikh Abbas al-Musawi et de sa famille. L’opération aurait été préparée par un groupe de Pakistanais et coordonnée par Moshen Rabbani, l’attaché culturel de l’ambassade d’Iran. Ce dernier fut d’ailleurs interpellé, quelques années plus tard, en Allemagne avant d’être relâché faute de preuves.
Le 18 juillet 1994, une seconde explosion dévastait l’immeuble de l’Association mutelle israélite argentine (AMIA) faisant 85 morts et plus de 300 blessés.
L’enquête initiale s’orienta également sur la piste islamique. L’attentat aurait été commis par un kamikaze de 29 ans, Ibrahim Hussein Berro, conduisant un véhicule piégé. Quelques années plus tard, un mandat d’arrêt fut lancé contre Imad Mugniyah, un membre du Hezbollah libanais ; puis l’ancien ambassadeur d’Iran en Argentine, Hade Soleimanpour fut interpellé au Royaume-Uni et relâché faute de preuves.
Tous ces éléments, qui paraissent être des conclusions définitives, sont reproduits depuis des années dans toutes sortes d’encyclopédies. Pourtant, aucun jugement n’est venu les confirmer. Pis, les enquêteurs ont progressivement déconstruit des versions qu’Israéliens et États-uniens leur avaient glissées à l’oreille pour en arriver à une hypothèse radicalement contraire : les deux attentats auraient été commis par des agents israéliens pour casser l’antisionisme de la communauté juive argentine. Les valses-hésitations des enquêteurs doivent être replacées dans le contexte politique mouvementé de leur pays, où les gouvernements et les insurrections se sont rapidement succédés. À ce jour aucun jugement définitif n’ayant été rendu dans aucune des deux affaires, chacun peut donc tirer les conclusions qui l’arrangent en se référant à des actes contradictoires de procédure.
Quoi qu’il en soit, le moins que l’on puisse dire est que la piste du terrorisme musulman ne tient plus la route et que les néo-conservateurs font tout ce qu’ils peuvent non pas pour débloquer les enquêtes, mais pour les enterrer définitivement.
Le juge d’instruction Alfredo Horacio Bisordi a témoigné sous serment à huis clos, le 5 mars 2002, à propos du premier attentat devant une commission d’enquête parlementaire. Le Réseau Voltaire a pu se procurer le script de cette audition.
Selon le juge Bisordi, le commissaire Meni Battaglia dirigea l’enquête sur l’attentat contre l’ambassade. Il était secondé, à titre non-officiel, par un béret vert de l’ambassade des États-Unis (non identifié) et par le chef de la sécurité de l’ambassade d’Israël, Ronie Gornie, tous deux disposant prétendument d’une longue expérience de ce type d’attentat au Proche-Orient. Sur les conseils de ces « experts », le commissaire adopta immédiatement l’hypothèse de la voiture piégée et consigna avoir retrouvé des morceaux épars du moteur d’une camionnette Ford 100.
Il ne fut pas possible d’établir la liste exacte des victimes car il s’avéra que la liste des diplomates israéliens accrédités ne correspondait pas à la réalité du personnel de l’ambassade sans que cette différence puisse être expliquée. Le commissaire Battaglia s’opposa au juge Bisordi, qui souhaitait faire autopsier les victimes, au motif que cela n’apporterait pas d’éléments nouveaux. Le juge insistant, le Grand rabbin d’Argentine s’y opposa à son tour au motif que, dans le cas des victimes juives, il s’agirait d’une profanation. Il ne fut en définitive procédé à aucune autopsie.
Le magistrat s’interrogeait sur deux points : pourquoi avoir attendu que l’ambassade soit vide pour l’attaquer alors que, quelques heures plus tôt, on y recevait en grande pompe une centaine de personnalités juives ? Et pourquoi recourir à un kamikaze alors que cela n’était pas nécessaire pour jeter la camionnette sur l’ambassade ?
Manifestant de plus en plus de scepticisme sur la version que l’on essayait de lui imposer, il reçut la visite du directeur adjoint des services secrets (SIDE), le docteur Gerardo Conte Grand. Chargé de lui faire entendre raison.
De plus en plus soupçonneux, le magistrat fit irruption à l’improviste au commissariat lors de l’interrogatoire d’un témoin-clé : un chauffeur de taxi qui attestait avoir raccompagné un groupe de musulmans à l’aéroport juste avant l’attentat. Ceux-ci lui auraient dit qu’il fallait quitter rapidement le quartier avant qu’il ne se transforme en enfer. Le juge Bisordi interrogea lui-même le témoin qui croyait avoir à faire à une personne aussi complaisante que les policiers. Le chauffeur de taxi refusa de décliner son identité et se présenta comme « l’homme d’Israël ». Il revendiqua être colonel de Tsahal et avoir combattu durant
Les éléments relatifs à la seconde enquête sont tout aussi édifiants avec notamment un vrai-faux policier israélien qui se promène comme chez lui dans les commissariats et les prisons argentines, et procède à des interrogatoires hors procédure et à des pressions sur les témoins. Prié de s’expliquer devant la justice argentine, l’homme a disparu. Le gouvernement israélien, après avoir nié son existence, a finalement reconnu l’employer, mais s’est opposé à son audition.
Tout ce qui a été dit sur l’origine des véhicules et leurs conducteurs est donc invalidé.
Au lendemain de cette audience, le porte-parole de l’ambassade d’Israël à Buenos-Aires a déploré ces conclusions et accusé les juges de
Il faudra certainement encore beaucoup d’indépendance et de persévérance à la justice argentine pour élucider complètement ces affaires. Au demeurant ceci suscite quelques commentaires.
Il est étrange qu’il faille une dizaine d’années pour se rendre compte qu’un attentat a été réalisé en plaçant un explosif dans un bâtiment et non avec un véhicule kamikaze. J’observe au passage que dans l’enquête actuelle sur l’assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri, la thèse de la camionnette piégée qui était considérée comme certaine par l’envoyé spécial de l’ONU Detlev Mehlis, n’est plus qu’une hypothèse de travail pour son successeur.
En quatorze ans, de nombreux experts occidentaux ont rédigé des ouvrages sur le terrorisme en raisonnant sur une interprétation erronée des attentats de Buenos-Aires. Ils ignorent ou feignent d’ignorer les progrès de l’enquête argentine, ce qui est soit un signe d’incompétence, soit de mauvaise foi. Ils s’accrochent aux conclusions de leurs raisonnements alors que les prémisses en sont fausses.
Il est pénible de constater que les enquêtes judicaires sur les grands attentats terroristes imputés aux musulmans sont inachevées, qu’il s’agisse de Buenos-Aires, de New York, de Bali, de Casablanca, de Madrid ou de Londres. D’autant que cela n’empêche guère les gouvernements néo-conservateurs et leurs « experts » d’en tirer des conclusions générales.
Les États-Unis ont l’habitude de modifier rétrospectivement l’attribution d’attentats dont ils furent victimes, de manière à accuser leur adversaire réel ou fabriqué du moment. Ils envisagent maintenant de réécrire l’Histoire jusque chez les autres.
Enfin, il convient de se montrer vigilant face aux va-t-en-guerre qui évoquent mensongèrement les attentats de Buenos Aires pour qualifier tel parti ou tel gouvernement de « terroristes » et appeler à son éradication
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