samedi 26 avril 2008

Polémique (2ème partie). Contrairement aux théories de Chomsky, les États-Unis n’ont aucun intérêt à soutenir Israël

par Jeffrey Blankfort article original

Pour consulter la première partie de cette étude, cliquez ici : « Le contrôle des dégâts : Noam Chomsky et le conflit israélo-israélien »

Nous publions aujourd’hui la seconde partie de l’étude de Jeffrey Blankfort sur les ambiguïté de Noam Chomsky. Après avoir montré l’engagement du maître pour soutenir les investissements en israël et pour accréditer la trompeuse théorie du gardien des puits de pétrole, il démonte deux autres dogmes. D’une part, loin d’être un atout stratégique pour les États-Unis, comme le prétend Chomsky, Israël est un handicap. D’autre part, ce n’est pas Washington qui empêche la solution du conflit israélo-palestinien, mais bien Israël qui veut à la fois être un État juif et l’unique État en Palestine.

Jusqu’ici, j’ai traité largement des opinions exprimées par Chomsky (dans la presse ou lors de conférences). Ses travaux universitaires, malheureusement, présentent les mêmes failles. Elles ont été décrites succinctement par Bruce Sharp sur un site ouèbe qui examine ses écrits antérieurs sur le génocide au Cambodge. Chomsky, écrit Sharp,

« n’évalue pas toutes les sources avant de déterminer lesquelles résistent à un examen sérieux. En lieu et place, il examine une poignée de récits, jusqu’à ce qu’il en trouve un qui corresponde à son idée préétablie de ce que doit être la vérité ; il n’extrapole pas ses théories de données vérifiées et avérées. En lieu et place, il réunit (ce qu’il appelle) des « preuves » de manière sélective, et uniquement des « preuves » qui étaient ses théories. Tout le reste, il le laisse tomber. » [1]

« Les omissions de Chomsky », écrit Sharp, « découlent précisément du même type de biais irréfléchi qu’il passe son temps à moquer dans la presse consensuelle. Les événements censés corroborer sa théorie sont tenus de remplir des conditions de crédibilité bien inférieures à celles (impossibles) auxquelles sont soumis les événements qui la démentiraient. » [2]

Ces reproches ne sont pas adressés au seul Chomsky, bien entendu. Mais, étant donnés son prestige et sa crédibilité d’universitaire, ils sont particulièrement graves, le concernant. Ce que Sharp a diagnostiqué fait de Chomsky moins un historien qu’un procureur général.

Il est certain que les questions relatives à l’action visant à garantir une solution juste du conflit israélo-palestinien sont complexes et controversées. Mais elles n’en doivent pas moins, au contraire, être examinées et débattues sérieusement et honnêtement. Tout le monde toutefois, ne participe pas à ce débat sur un pied d’égalité avec tous les autres. Il revient en particulier aux Palestiniens eux-mêmes de trancher la question du droit au retour des réfugiés palestiniens, et non aux Israéliens, ni à Washington, ni au « consensus international » si cher à Chomsky…

Un autre problème intimement lié à celui que nous venons d’évoquer – à savoir : celui du choix : « un seul État contre deux États » – est plus complexe encore. À son sujet, les Palestiniens eux-mêmes sont partagés. Bien que je sois partisan de la solution à un seul État, je n’ai pas l’intention de développer in extenso mon argumentation en sa faveur ici ; je me contenterai de l’exposer brièvement afin de donner au lecteur la présentation qu’en fait Chomsky. Toutefois, la prépondérance du discours sioniste étant ce qu’elle est, ni l’une ni l’autre de ces deux problématiques [la question des réfugiés et celle de savoir si’il faut un Éta binational ou deux États mononationaux.] n’a la capacité de mobiliser un nombre significatif d’États-uniens pour leur cause respective, mis à part ceux qui ont un intérêt personnel dans la solution qui sera éventuellement apportée à l’une ou à l’autre.

Deux questions, en revanche, ont cette capacité mobilisatrice. Elles sont d’ailleurs intimement liées entre elles. Ces deux questions, les voici :

1) La nécessité de fermer le robinet qui fait se déverser en Israël un flot continu de dollars provenant des contribuables états-uniens. Au vu des coupes budgétaires drastiques affectant la santé, l’éducation et les retraites, dans l’ensemble des États-Unis, il existe déjà un public tout trouvé qui serait sensible à la nécessité de mettre un terme à cette aide, qui a franchi récemment le seuil des 100 milliards de dollars. Cette mesure devrait impliquer l’arrêt des investissements tant publics que privés en Israël, dans des compagnies israéliennes, ou dans des compagnies états-uniennes faisant des affaires en Israël (ce qui a déjà été entrepris, de manière certes extrêmement limitée). Autrement dit : il s’agit d’imposer ces fameuses sanctions, que Chomsky déplore tellement ;

2) Dénoncer et contrer la mainmise du lobby pro-israélien sur le Congrès ainsi que son contrôle sur la politique moyen-orientale des États-Unis, dont tous les observateurs politiques à Washington et ailleurs dans le monde reconnaissent qu’il s’agit d’une donnée objective. Oups : « tous les observateurs », sauf, bien sûr, Chomsky !

Certes, à l’occasion, celui-ci mentionne bien que la majorité des États-uniens sont plus que réticents en ce qui concerne l’aide militaire prodiguée à Israël par leur pays, mais sans plus. La fixation que fait Chomsky sur les pilotes israéliens aux commandes d’hélicoptères – certes, mais d’hélicoptères « américains » – , en plus de reléguer la puissance de déflagration de la question des aides et du lobby dans les marges du discours politique, est un élément fondamental pour sa pensée, en ceci qu’elle sape les fondements mêmes de son analyse, selon laquelle :

1) Israël serait essentiellement un pays client des États-Unis, lequel État client ne serait soutenu par Washington que sur la base de ses « services », de sa nature d’« atout stratégique » [3] et de « flic en patrouille » [4] [5] pour les intérêts états-uniens au Moyen-Orient, mais aussi ailleurs dans le monde ;

2) L’attitude « réjectionniste » des États-Unis, adoptée par les gouvernements états-uniens successifs, qui s’opposent à la création d’un État palestinien, serait l’obstacle essentiel bloquant la mise en application d’une « solution à deux États ». De surcroît, Chomsky voudrait nous faire croire que la politique états-unienne, en dépit d’occasionnelles apparences du contraire, soutiendrait « l’intégration progressive des territoires occupés à l’intérieur d’Israël » [6] ;

3) Enfin, l’influence du lobby pro-israélien serait « exagérée » par ses détracteurs, et elle serait plus un facteur qui ferait occasionnellement pencher de tel ou tel côté le fléau de la balance, qu’un facteur décisif et totalement indépendant de la conjoncture… De plus, ceci ouvrirait le débat concernant la capacité d’une pression idéologique de trouver une traduction concrète – en comparaison avec le pouvoir réel [7].

Sur ces trois points, innombrables sont les preuves contraires apportées par des universitaires incontestés, spécialistes de la question. Preuves contraires dont Chomsky a manifestement connaissance (d’ailleurs, il les cite, quand cela le sert…), mais qu’il choisit délibérément d’ignorer. Dans les limites qui sont celles de cet article, je n’en évoquerai que quelques-unes.

La théorie fumeuse de l’« atout stratégique »

L’argument de Chomsky, selon qui le soutien américain à Israël serait motivé par la valeur d’« atout stratégique » qui serait propre à ce pays a été explicité avec une particulière clarté par Chomsky, en 1983, dans son ouvrage Le Triangle fatal, et il a été repris par lui dans ses interviews et ses articles jusqu’au moment où l’URSS cessa de représenter une menace, et où il dut trouver de nouvelles justifications.

Depuis la fin des années 1950, le gouvernement états-unien a été amené à soutenir de plus en plus la thèse selon laquelle un Israël puissant représenterait un « atout stratégique » pour les États-Unis, en leur servant de rempart contre les menaces représentées par les mouvements nationalistes arabes radicaux, susceptibles d’obtenir le soutien de l’URSS [8].

La pauvreté des « preuves » que Chomsky invoque à l’appui de cette (hypo)thèse aurait dû depuis fort longtemps faire se lever bien des sourcils… Un élément qu’il ne cesse d’invoquer, c’est un Mémorandum du Conseil national de Sécurité, de janvier 1958, lequel, d’après Chomsky, avait « conclu qu’un corollaire logique de [notre] opposition au nationalisme arabe croissant » consisterait à « soutenir Israël, en tant qu’unique puissance pro-occidentale à subsister au Moyen-Orient ». [9] Sur un point d’une telle importance, on s’attendrait tout de même à ce qu’il soit en mesure de nous ressortir quelque chose de plus frais… Or, il se trouve que cette même année 1958, en réplique à l’insurrection anti-britannique victorieuse en Irak et aux trouble nationalistes au Liban, Eisenhower expédia les Marines dans ces deux pays, afin d’y défendre des intérêts états-uniens prétendument menacés. Apparemment, le recours à des troupes israéliennes n’a jamais été envisagé ?…

Les seuls « services » rendus par Israël, auxquels Chomsky fait allusion, furent la défaite de l’Égypte en 1967 [10], défaite motivée à l’évidence par les intérêts propres à Israël, ainsi que le rôle qu’Israël aurait joué afin de dissuader le gouvernement syrien de venir en aide aux Palestiniens confrontés aux massacres du roi de Jordanie, en septembre 1970. Et c’est tout !… Dans ce dernier cas, Israël n’a nullement eu besoin des États-Unis pour mettre son armée en état d’alerte afin de contrer ce qui a été improprement considéré (pas par Chomsky, soyons juste…) comme une tentative de prise de contrôle du pouvoir en Jordanie par l’OLP [11].

Ce que Chomsky et ceux qui répètent ses analyses tels des perroquets ignorent (ce qui n’a rien d’étonnant, car il n’en parle jamais !), ce sont d’autres facteurs, qui ont joué un rôle dans la déroute de l’OLP en Jordanie, notamment les dissensions internes, le refus de l’armée de l’air syrienne – alors sous le commandement de Hafez al-Assad (pas particulièrement un ami de l’OLP…) – de lui accorder une couverture aérienne et l’avantage stratégique dont jouissait l’armée jordanienne, très majoritairement composée de Bédouins.

C’est Henry Kissinger qui exagéra le rôle d’Israël dans l’issue de cette confrontation, tout comme il exagéra son potentiel d’« atout » américain dans la Guerre froide [12] et – ironiquement – c’est donc la position de Kissinger que Chomsky a ainsi sanctuarisée, en l’élevant au statut de « fait » historique !

Un autre facteur, dans l’argumentation « atout historique » est généralement négligé, comme le fait observer Camille Mansour :

« Ces luttes d’influence, se produisant dans l’entourage géographique d’Israël, sont souvent liées (et, dans le cas de la crise jordanienne, elles l’étaient assurément) au conflit israélo-arabe lui-même : pour les États-uniens, Israël était dans la situation paradoxale de représenter un atout, en réduisant les menaces pesant sur lui-même et en même temps sur les intérêts américains – menace, toutefois, dont Israël était susceptible d’être lui-même à l’origine, en raison de l’état de belligérance avec les Arabes qui le caractérise. » [13]

Cette opinion fut confirmée, par la suite, par Stephen Hillman, ancien membre de la Commission sénatoriale (états-unienne) des relations extérieures, qui écrivit :

« Le service qu’Israël est censé fournir aux États-Unis – en faisant obstacle à la pénétration soviétique au Moyen-Orient – est un service rendu nécessaire au premier chef par l’existence même d’Israël, mais sans lequel les Arabes seraient beaucoup moins réceptifs à l’influence soviétique… Il est exact qu’Israël fournit aux États-Unis une information militaire et des renseignements précieux, et il est concevable… que les États-Unis puissent avoir besoin de bases navales ou aériennes sur le territoire israélien. Ces atouts, en eux-mêmes… ne semblent toutefois pas suffire à justifier le fait que les États-Unis aient dépensé, depuis la fondation d’Israël en 1948 jusqu’à nos jours – en 1980 – presque 31 milliards de dollars en aide militaire et plus de 5,5 milliards de dollars en soutien économique, ce qui fait d’Israël – de très loin – le premier bénéficiaire des aides économiques extérieures accordées par les États-Unis » [14]

Chomsky était tout à fait au courant des travaux de Tillman, qu’il cite fréquemment dans son Triangle fatal. Mais la citation ci-dessus, curieusement, n’y figure pas. Plus à son goût, sans doute, il lui préféra un commentaire de l’ex-sénateur Henry « Scoop » Jackson, démocrate, de l’État de Washington, que Chomsky intégra au Triangle fatal, et qu’il reprit, depuis lors, dans tous ses ouvrages, interviews et conférences sur le conflit israélo-palestinien. D’après ce Jackson,

La tâche impartie à Israël consistait à « inhiber et contenir les éléments irresponsables et radicaux dans certains pays arabes… lesquels, s’ils avaient été laissés libres d’agir à leur guise, auraient représenté une grave menace pour nos principaux approvisionnements pétroliers dans le Golfe persique ». [15]. Il faisait ainsi allusion à l’« alliance tacite entre Israël, l’Iran (du temps du Shah) et l’Arabie saoudite », bien qu’il n’existe aucune preuve que l’un quelconque de ces trois pays ait jamais joué un tel rôle. La première administration Bush ayant considéré que les ressources pétrolières de cette région étaient menacées par l’invasion du Koweït par l’Irak, en 1991, elle agit d’elle-même, et fit tout son possible afin de dissuader Israël de participer aux opérations. Mais cela ne dissuade nullement Chomsky de continuer à nous raconter sempiternellement le même conte pour enfants…

La raison pour laquelle Chomsky est persuadé que nous devons accorder foi à l’opinion de Jackson, c’est le fait qu’il s’agissait de « l’expert le plus en vue, au Sénat américain, sur la question pétrolière », écrit-il dans son Triangle fatal, à la page 535, ainsi que « l’expert du Sénat en matières moyen-orientale et pétrolière », dans Vers une nouvelle guerre froide [Toward a New Cold War], à la page 315, ou encore du « spécialiste le plus en vue au Sénat en matière de Moyen-Orient et de questions pétrolières » (dans The New Intifada, ainsi que dans Middle East Illusions, page 179), d’« éminent spécialiste ès questions pétrolières », dans Deterring Democracy, page 55) ; de « spécialiste le plus en vue au Sénat dans les questions du Moyen-Orient et du pétrole » (dans Pirates and Emperors, page 165) et enfin de « personnage influent concerné par le Moyen-Orient » (dans Hegemony or Survival, page 165).

Si j’insiste sur les descriptions élogieuses données de Jackson par Chomsky, c’est parce qu’elles sont très caractéristiques, de par leur nature trompeuse. La seule chose qui aurait à la rigueur pu faire passer Jackson pour un expert en matière de pétrole, c’est peut-être le fait qu’il ait dirigé une enquête sur les pratiques pétrolières aux États-Unis, à l’époque où il était président de la Commission de l’Intérieur (= Commission de l’Environnement Ndt.) au Sénat.

Mis à part le fait d’être connu comme le « sénateur nommé par Boeing » en reconnaissance des nombreux contrats qu’il a obtenu pour cette firme tandis qu’il présidait la Commission des Armées du Sénat, le principal legs de Jackson est sans doute sa participation à la rédaction de l’amendement Jackson–Vanik, lequel conditionnait le succès des négociations entre l’URSS et les États-Unis (en vue de la fin de la Guerre froide) à l’ouverture par l’URSS des portes à l’émigration juive. On comprendra que cela ait fait de lui le chouchou du lobby pro-israélien et des juifs américains, de manière générale, qui lui assurèrent 523 778 dollars (soit 24,9 %) en contributions de campagnes électorales, durant cinq ans. [16] Faucon farouchement opposé à toute détente et partisans acharné de la Guerre froide, il fut « pratiquement le dernier démocrate, au Sénat, à soutenir… la guerre [au Vietnam] » [17]. Plus récemment, il a été célébré en tant que patron, au Congrès, des néocons ayant donné à Richard Perle le signal du départ sur sa piste vers l’enfer.

Grâce au soutien à la fois d’Israël et du complexe militaro-industriel états-unien, les efforts de Jackson ne passèrent pas inaperçus auprès du très influent Jinsa [Jewish Institute for Security Affairs], principal promoteur de l’intégration entre les industries états-unienne et israélienne de l’armement, depuis 1976. C’est, là encore, un élément clé du lobby israélien que Chomsky n’a jamais cité. En 1982, cet institut créa un prix, intitulé Prix Henry M. « Scoop » Jackson Distinguished Service Award [Prix « pour service rendu »], que Jackson fut le premier à se voir décerner. Le dernier impétrant en date n’étant autre que son protégé, Richard Perle.

Eût Chomsky indiqué les orientations du faucon pro-israélien Jackson, cela aurait certainement soulevé des questions au sujet de la crédibilité de ce sénateur, au cas où cela ne l’aurait pas totalement discrédité…

Mis à part une petite poignée d’admirateurs loyalistes qui semblent déterminés à faire écho au moindre de ses propos, la vision qu’a Chomsky des relations états-uno-israéliennes n’a pas le même succès auprès de ses collègues universitaires, y compris auprès de ceux, parmi eux, qui partagent pourtant sa vision du monde. Tout en veillant à ne pas citer nommément Chomsky, c’est bien à la théorie de celui-ci que faisait par exemple allusion le professeur Ian Lustick, interviewé en 2001 par Shibley Talhomi :

« Les États-Unis sont assez puissants et assez riches pour pouvoir traiter une crise majeure, quand il s’en produit, comme l’invasion du Koweït par l’Irak, qui fut manifestement une crise d’une extraordinaire gravité. Mais la grosse question, concernant ce qui concerne les motifs des États-Unis, au plan intérieur, a trait aux raisons de l’engagement américain en faveur d’Israël. C’est véritablement cela, la question essentielle. Et vous avez, à ce sujet, plusieurs explications en concurrence les unes avec les autres. Très longtemps, il y a eu une opinion selon laquelle l’engagement américain en faveur d’Israël était un corollaire des intérêts stratégiques des États-Unis, à savoir qu’essentiellement, les États-Unis voyaient dans Israël un instrument au service de leurs intérêts stratégiques et, plus largement, un instrument leur servant à contenir l’URSS durant la Guerre froide et depuis lors, à assurer la régularité de leurs approvisionnements pétroliers, à réduire le terrorisme, etc… »

En cette matière, la vérité, c’est que cette théorie ne tient pas, car si Israël, dans certains cas, a été stratégiquement très utile (pour les États-Unis), il n’a pas été considéré stratégiquement important dans d’autres cas. Mais il y a sans doute quelque chose de plus important encore : durant la plus grande partie de la Guerre froide, les bureaucrates – les bureaucraties de l’exécutif, de la Défense, des Affaires étrangères…) n’ont pas considéré qu’Israël fût un atout stratégique, et certains, parmi eux, virent même en lui un handicap. On le voit, cet argument ne fait donc pas l’affaire… [18]

Que cet argument ait été valide, ou non, que durant la Guerre froide les États-Unis aient pu voir en Israël un allié fiable contre des régimes soutenus par l’URSS dans certains pays arabes ; cet argument s’est évanoui aussi rapidement que l’URSS elle-même. Quand Afif Safiyéh, délégué de la Palestine au Royaume-Uni et auprès du Saint-Siège s’est rendu aux États-Unis, juste après l’effondrement de l’URSS, il a été surpris de constater :

« que, dans les cercles pro-israéliens… la préoccupation dominante concernait la perte d’un « ennemi », avec ce que cela pouvait comporter pour la « raison d’être » (en français dans le texte, ndt) et pour l’utilité d’Israël pour la politique étrangère états-unienne, en tant que bastion stratégique destiné à contenir l’expansionnisme soviétique. C’est précisément à cette période que la construction idéologique d’une menace planétaire de remplacement – le péril islamique – débuta. » [19]

L’effondrement de l’URSS força non seulement le lobby pro-israélien, mais Chomsky lui-même, tout aussi bien, à rechercher fiévreusement une nouvelle raison afin de justifier la poursuite du soutien états-unien – le lobby, pour le perpétuer, et Chomsky pour le justifier – et de la relation privilégiée états-uno-israélienne.

Chomsky trouva cette nouvelle raison dans une déclaration d’un ancien chef des services israéliens de renseignement, Shlomo Gazit. L’argument de la guerre froide, sur lequel Chomsky se fondait jusqu’alors, voici que Chomsky le trouvait soudain « hautement trompeur », lui préférant « l’analyse… faite par Gazit », lequel écrivit, après l’effondrement de l’Union soviétique, que :

« La principale mission d’Israël n’a absolument pas changé, et elle reste d’une importance cruciale. Sa situation, au centre du Moyen-Orient arabo-musulman, prédestine Israël à être un gardien dévoué de la stabilité dans tous les pays qui l’entourent. Son rôle est de protéger les régimes en place, c’est-à-dire de prévenir ou d’arrêter les processus de radicalisation et de bloquer l’expansion du zèle religieux fondamentaliste ». [20]

« Ce à quoi nous pouvons ajouter », écrit Chomsky dans la préface à la nouvelle édition de son Triangle fatal, « qu’Israël fait le sale boulot dont les États-Unis ne veulent à aucun prix se charger eux-mêmes, en raison de l’opposition populaire et d’autres inconvénients. » [21]

Chomsky écrit ceci comme si nous étions encore dans les années 1970 ou 1980 ; il n’y a apparemment aucune limite au « sale boulot » dont les États-Unis sont disposés à se charger par eux-mêmes, par les temps qui courent ! De la part de Gazit, on devait bien entendu s’attendre à ce qu’il évoque un bon prétexte pour maintenir l’aide états-unienne à Israël. Mais : la stabilité ? ! ? A défaut d’autre chose, la présence d’Israël dans la région a toujours représenté un facteur de déstabilisation et à deux reprises, en 1967, puis, à nouveau, en 1973, cette déstabilisation fut à deux doigts de déclencher une guerre nucléaire (et elle a bel et bien causé un embargo pétrolier arabe aux conséquences économiques extrêmement coûteuses). Aux premiers jours de la guerre d’Octobre, quand il s’avéra que l’armée israélienne risquait d’être débordée, le ministre israélien de la Défense Moshé Dayan paniqua, a-t-on rapporté, et il aurait brandi la menace d’utiliser des armes nucléaires israéliennes contre l’Égypte si les États-Unis ne mettaient pas immédiatement en place un pont aérien afin d’acheminer en Israël des armes conventionnelles. L’administration Nixon répondit promptement à cette demande [Stephen Green, Living by the Sword : Israel and the US in the Middle East, Amana, Brattleboro, VT, 1988, p. 91. Seymour Hersh, The Sampson Option, pp. 225ff, Avner Cohen, New York Times, Oct. 6, 2003.]].

Comme le fait observer Camille Mansour : « En demandant des armes à Washington de manière aussi pressante, le gouvernement israélien ne se comportait nullement en atout stratégique des États-Unis, mais bien plutôt en protégé craignant – sans doute de manière exagérée, mais tout de même – pour sa propre survie. » [22]

Il convient de relever qu’il a fallu attendre 1978, c’est-à-dire l’accession au pouvoir de Menahem Begin (élu Premier ministre) pour voir Israël se vendre en tant qu’« atout pour les États-Unis ». Dans une interview publiée dans le numéro de janvier 1991 du Journal of Palestine Studies, le général israélien à la retraite (aujourd’hui disparu) Matti Peled disait : « L’argument selon lequel Israël serait un atout stratégique pour les États-Unis, pour lesquels il servirait de porte-avion stratégique, n’a jamais été autre chose que le pur produit de l’imagination israélienne. Cette idée fut avancée pour la première fois par le Premier ministre Begin afin de justifier les prêts considérables accordés à Israël afin de lui permettre d’acheter des systèmes d’armement américains… La crise du Koweït a démontré que cet argument ne tenait absolument pas… » « Les contrats d’armement ont été utiles aux États-Unis », a-t-il conclu, « en ceci qu’ils ont été à l’origine de ventes d’armes encore plus importantes aux pays arabes alliés des États-Unis. »

En 1986, ainsi que les quatre rééditions successives, jusqu’en 2003, de l’ouvrage populaire de Chomsky, Pirats and Emperors, comportaient une théorie à base d’« atout stratégique » qui apparaissait bodybuildée aux stéroïdes… Dans l’une de ces cinq références à un Israël rendant ce type de service, il écrit :

« Les États-Unis ont toujours cherché à maintenir la confrontation militaire et à s’assurer qu’Israël demeurait bien un « atout stratégique » pour eux. De ce point de vue, il faut qu’Israël soit hautement militarisé, technologiquement avancé, et il faut qu’il soit un État paria, très éloigné de l’indépendance économique, mis à part sa production en matière de hautes technologies (souvent en coordination avec les États-Unis), terriblement dépendant des États-Unis et, partant, satisfaisant leurs besoins, à l’instar de « flic de service » et en tant qu’État mercenaire, employé à d’autres fins américaines, ailleurs dans le monde. [23] »

Chomsky n’aurait pas pu être plus dans l’erreur. Grâce au soutien politique des États-Unis, Israël serait purement et simplement un « pays paria » ? Mais Israël jouit du statut de partenaire privilégié au sein de l’Union européenne, son premier partenaire commercial, et son industrie de l’armement, en dépit de son intégration progressive dans son homologue états-unienne, est l’une des plus importantes au monde, en concurrence avec les armes des États-Unis sur le marché mondial. Israël est aussi un des centres majeurs pour les industries états-uniennes des hautes technologies. Israël est donc très loin, on le voit, d’être l’otage des exigences états-uniennes, même si cette catégorisation est bien ce que Chomsky tente, à l’évidence, de suggérer. De plus, si les militaires et les fabricants d’armes israéliens ont effectivement servi les intérêts états-uniens en Amérique latine et en Afrique, des années 1960 au début des années 1980, ils l’ont fait en servant d’abord leurs intérêts propres, et il se trouve, tout simplement, que cela s’est avéré mutuellement profitable.

La soi-disant utilité d’Israël pour les États-Unis a été niée, sous d’autres point de vue. Harold Brown était secrétaire à la Défense sous Jimmy Carter. Son homologue israélien ayant suggéré que les deux pays établissent des plans afin de viser l’Union soviétique, en cas de guerre, Brown dit alors à Seimour Hersh que l’administration Carter

« ne souhaitait pas être impliquée dans un conflit israélo-soviétique. L’idée selon laquelle Israël représenterait un atout stratégique me semble totalement folle. Les Israéliens diraient : « Laissez-nous vous aider », puis vous finiriez par devenir leur instrument. Les Israéliens ont leurs propres impératifs de sécurité, de même que nous, nous avons les nôtres. Ils ne sont pas identiques. » [24]

Le professeur Cheryl Rubenberg a défié l’attitude mentale de Chomsky, sous un angle différent :

« Les contraintes qui pèsent sur la diplomatie américaine au Moyen-Orient, en raison de la relation (spéciale) états-uno-israélienne, ont obéré la capacité de Washington d’obtenir des relations pragmatiques, stables et constructives avec les pays arabes, (pourtant) un préalable à la réalisation pleine et entière des intérêts régionaux des États-Unis… Même les régimes arabes qui ont entretenu des relations étroites avec Washington, en dépit de l’union (fusionnelle) entre les États-Unis et Israël, ont été contraints à ne pas normaliser trop ouvertement ces liens par peur de l’opposition interne qu’une affiliation desdits régimes envers l’économie américaine n’aurait pas manqué de susciter… »
Les intérêts états-uniens, tant du point de vue des grandes firmes que du commerce extérieur, au Moyen-Orient ont été obérés encore par d’autres facteurs… Pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres : en raison de la pression que les organisations pro-israéliennes étaient en mesure d’exercer sur le Congrès, un ensemble de lois anti-boycott ont été adoptées (par les États-Unis) qui limitent sévèrement le « business » états-unien dans le monde arabe. En conséquence, les firmes états-uniennes et l’économie des États-Unis subissent des pertes annuelles estimées à 1 milliard de dollars. [25]

Cette législation anti-boycott a été utilisée avec succès afin de poursuivre des entreprises états-uniennes au fil des années, et elle est aujourd’hui mobilisée par les membres pro-israéliens du Congrès afin de tuer dans l’œuf les initiatives des militants états-uniens quand ils mettent en place des campagnes de boycott des produits israéliens. Dois-je préciser quel camp choisit Chomsky, dans ces polémiques ?

De plus, Rubenberg, soulignant un aspect souvent évoqué par d’autres auteurs, pose la question suivante : « Comment Israël, voué à mener des politiques qui garantissent, a priori, la perpétuation de l’instabilité régionale (au Moyen-Orient) pourrait-il être considéré comme un « atout pour les intérêts des États-Unis » ? » [26]

En ce qui concerne l’ère post-soviétique, Chomsky aurait pu solliciter le soutien du pilier néocon Douglas Feith, pour illustrer sa cause. En effet, à quelques variantes près, ces lignes du vice-secrétaire d’État à la Défense, publiées par la revue juridique Harvard Law Review au printemps 2004 auraient pu être écrites par Chomsky lui-même :

« Pour toutes sortes de raisons, Israël demeure stratégiquement pertinent, même après l’effondrement de l’Union soviétique… C’est la géographie même de cet État qui garantit la permanence de son importance pour les États-Unis, même sans présence soviétique. (En effet), le Moyen-Orient reste important, pour les États-Unis, en tant que première source des importations pétrolières américaines…
Israël a toujours été un allié loyal des États-Unis et, grâce à sa puissance, Israël a toujours représenté une Force [la majuscule est dans l’original, ndt] de stabilisation dans une région par ailleurs volatile. Bien que l’existence même d’Israël ait déclenché de nombreux conflits au Moyen-Orient, du point de vue du gouvernement américain, la destruction d’Israël, la seule démocratie de la région, est stratégiquement inenvisageable. Opérant sur la base du principe qu’Israël est là pour y rester et qu’il doit perdurer, l’aide américaine à ce pays a rapporté aux États-Unis d’énormes dividendes stratégiques. En créant un déséquilibre des forces favorable à Israël, cette aide [américaine] a dissuadé de nombreuses agressions militaires arabes et a évité des situations – à savoir : une guerre totale entre Israël et ses voisins – dans lesquelles les États-Unis auraient sans doute été contraints à déployer des troupes au Moyen-Orient…
»

Ce dernier paragraphe est très intéressant, vous ne trouvez pas ? Non seulement Feith surenchérit sur les propos d’Hillman, de Mansour et de Rutenberg, que nous avons déjà cité, selon lesquels l’existence (même) d’Israël est la (principale) source d’instabilité régionale (au Moyen-Orient), mais il suggère l’idée qu’Israël a été justement récompensé d’avoir éviter une énième guerre, que sa simple présence n’aurait pas manqué de provoquer ! Si ça, ça n’est pas de la tchuzpah ? ! ? [27]

La théorie « réjectionniste »

« Dans le monde réel », écrit Chomsky, « le premier obstacle devant la « vision en émergence » [à savoir : l’offre faite par la Ligue arabe d’une paix globale et de la reconnaissance d’Israël en échange du retrait des troupes israéliennes des territoires « palestiniens » occupés] était et demeure le réjectionnisme unilatéral des États-Unis ». [28] [Par ce terme, Chomsky voudrait suggérer que les États-Unis « rejetteraient » par principe l’idée de la création d’un État palestinien. Ndt]

Chomsky voudrait nous faire croire que ce seraient au premier chef les États-Unis (et non Israël) qui feraient obstacle à un règlement pacifique (à défaut de juste) du conflit israélo-palestinien. Il omet, toutefois, dans tous ses écrits prolifiques, de nous expliquer pourquoi cette solution interfèrerait négativement (en la gênant) avec la puissance états-unienne au Moyen-Orient plutôt que de la renforcer, dès lors que l’État palestinien évoqué (comme Chomsky le reconnaît fréquemment par ailleurs) serait très faible et dépendrait dans une très grande mesure d’Israël, des États-Unis et des autres pays arabes, ne serait-ce que pour survivre économiquement ?

En répétant ce néologisme encore et toujours (parfois à plusieurs reprises sur une même page), Chomsky a réussi à obtenir le résultat que la qualification de « réjectionniste » colle aux États-Unis comme un morceau de sparadrap dont ils n’arriveraient plus à se débarrasser. Mais la seule chose qu’en réalité, il soit parvenu à faire, c’est créer sa propre définition (très personnelle) de ce terme, qui n’est qu’un « épouvantail » de plus, des entrailles duquel Chomsky est en mesure de nous extraire à pleines poignées le rembourrage, en nous donnant à accroire qu’il s’agirait de la réalité… Cette manip a requis de sa part quelque habile tripatouillage et l’ignorance impardonnable d’une information historique facilement accessible, qui est que, depuis Richard Nixon, tous les présidents états-uniens ont essayé (en vain) d’obtenir d’Israël qu’il se retire des territoires occupés en 1967. Comme nous le savons, aujourd’hui, après toute cette série d’échecs, les efforts de la Maison-Blanche à cet effet se réduisent à un suintement de compte-gouttes.

Ces « plans de paix » (puisque c’est ainsi qu’on les avait baptisés) états-uniens n’auraient pas été mis en œuvre au bénéfice des Palestiniens, mais afin de pacifier la région, au profit des intérêts états-uniens, régionaux et mondiaux, affectés négativement par la poursuite de l’occupation israélienne, telle que nous l’avons décrite plus haut. En vertu de ces « plans », les Palestiniens vivant en Cisjordanie se seraient vraisemblablement retrouvés, une nouvelle fois, sous souveraineté jordanienne, et les Palestiniens vivant dans la bande de Gaza – sous souveraineté égyptienne. Mis à part Camp David, dont Israël est ressorti grand gagnant, tous ces plans ont été voués à l’échec :

« Mais qu’est-il donc arrivé à tous ces gentils plans ? » a demandé de manière rhétorique le journaliste et pacifiste israélien Uri Avnery, avant de répondre lui-même : « Les gouvernements israéliens (successifs) ont mobilisé le pouvoir collectif des juifs états-uniens – lesquels dominent le Congrès et les médias des États-Unis dans une large mesure – contre eux. Confrontés à cette opposition vigoureuse, tous les présidents – sans exception : les grands présidents et les présidents minables, qu’ils aient été footballeur ou star de Western – ont reculé, l’un après l’autre. » [29]

L’origine de ce qualificatif - « réjectionniste » - mérite d’être connue. Chomsky l’a tiré de ce que les partisans d’Israël – dont Chomsky lui-même – qualifiaient, dans les années 1970 de « front du refus » palestinien. C’est le terme qu’ils utilisaient pour qualifier ces organisations de la résistance palestinienne, comme le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), le Front Démocratique pour la Libération de la Palestine (FDLP) et d’autres groupes moins nombreux, qui rejetaient l’existence d’Israël en tant qu’État juif et qui prônaient la création d’un État démocratique et laïque s’étendant sur toute la Palestine historique. On le sait, c’est là une position à laquelle Chomsky était – et demeure – fondamentalement opposé.

En 1975, Chomsky considérait que la possibilité d’« un État démocratique unitaire et laïque sur le territoire de la Palestine mandataire… était un exercice de style futile. Il est curieux que cet objectif soit défendu sous une forme ou sous une autre par les plus extrêmes des antagonistes : l’OLP et les éléments expansionnistes en Israël. Mais les documents de la première (l’OLP) montrent que ce qu’elle a en tête, c’est un Etat arabe qui garantirait aux juifs leurs droits civiques, tandis que les déclarations des partisans d’un Grand Israël ne laissent que peu de doute sur le fait que leurs idées empruntent une voie parallèle à celles des premiers : il suffit de substituer « juifs » à « arabes ». » [30]

Le combat des Palestiniens, en fait, n’est devenu légitime aux yeux de Chomsky qu’après que ceux-ci aient accepté l’exigence états-uno—israélienne que l’OLP reconnaisse la légitimité d’Israël à l’intérieur de ses frontières de 1967. Le fait qu’il assimile le désir des Palestiniens de recouvrer leur patrie perdue au programme des colonisateurs israéliens les plus extrémistes en dit long, également. Un autre morceau du puzzle vient rejoindre sa place. Déjà, en 1974, il avait été extrêmement explicite :

« Les groupes palestiniens qui se sont renforcés ces dernières années arguent du fait que cette injustice pourrait être corrigée grâce à la création d’un État laïque et démocratique sur l’ensemble de la Palestine. Toutefois, ils reconnaissent franchement – de fait, ils y insistent, même – que cela requerrait l’élimination des « institutions politiques, militaires, sociales, syndicales et culturelles » d’Israël, ce qui nécessiterait une lutte armée, qui ne manquerait pas d’avoir pour effet… l’unification de tous les éléments de la société israélienne, pour s’opposer au combat armé visant ses institutions.

Même si, contrairement à la réalité des faits, les moyens proposés pouvaient réussir – je répète et je souligne « même si, contrairement à la réalité des faits » – ces moyens impliqueraient la destruction par la force d’une société unie, de son peuple et de ses institutions – ce qui est une conséquence intolérable pour l’opinion civilisée, qu’elle soit ou non de gauche. »

Apparemment, pour Chomsky, l’« opinion civilisée » excluait la totalité du monde arabe et la plus grande partie du tiers-monde, qui avaient représenté suffisamment de monde pour que l’Assemblée générale de l’Onu qualifie à une majorité écrasante le sionisme de forme de racisme, en 1975. Son « opinion civilisée » n’a pas non plus vu dans l’expulsion des Palestiniens « une conséquence intolérable » de la création d’Israël en tant qu’État juif…

Mais voilà que, dans un effort visant à le faire apparaître équitable, Chomsky établit une équivalence entre le rejet d’un État palestinien avec le rejet d’un État israélien juif, et qu’il déclare « rejectionnistes » les États-Unis, en se fondant sur le fait qu’ils n’ont pas préconisé la création d’un État palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ceci lui permet d’ignorer l’objectif des États-Unis, à savoir : obtenir d’Israël qu’il se retire jusqu’à ses frontières d’avant 1967, de manière à améliorer les relations des États-Unis avec la région du Moyen-Orient et à renforcer la stabilité de leurs approvisionnements pétroliers.

Non seulement Chomsky fait des États-Unis des « rejectionnistes » : de plus, il classe la résolution 242 dans la même catégorie. Tout en reconnaissant que cette résolution, adoptée cinq mois après la guerre de 1967, entendait restaurer le statu quo préexistant, « il est important de garder présent à l’esprit le fait que la 242 est une résolution strictement rejectionniste – j’utilise ici ce terme dans son acception neutre, pour faire référence au rejet des droits nationaux de l’un ou de l’autre des groupes antagonistes dans l’ancienne Palestine, et non pas uniquement au rejet des seuls droits des juifs, qui est son usage raciste conventionnel. » [31]

Le recours par Chomsky au terme « raciste » particulièrement provocateur ici, toutefois, sert à maquiller le fait que, du point de vue des Palestiniens, c’était Chomsky, qui était le rejectionniste. Au début des années 1970, le mouvement national palestinien n’appelait nullement à un État séparé en Cisjordanie et à Gaza. Il appelait bel et bien, en revanche, au retour sur les territoires dont 750 000 d’entre eux avaient été expulsés ou dont ils avaient dû s’enfuir, seulement une vingtaine d’années auparavant. Ce n’est pas avant que l’OLP n’ait laissé tomber sa revendication de ses droits nationaux dans la totalité de ce qui avait été la Palestine, en faveur d’une entité croupion au-delà de la Ligne verte (la frontière de 1967) que les droits nationaux des Palestiniens – ou plutôt, ce qu’il en restait – devinrent « casher » aux yeux de Chomsky.

Suite de cette étude :
Troisième et dernière partie, cliquez ici :« Comment Chomsky a occulté l’influence du lobby pro-israélien sur la politique des États-Unis »

[1] http://www.mekong.net/cambodia/arch.... May 25, 1995…

[2] ibid., May 27, 1995.

[3] Fateful Triangle, p. 17 ff…

[4] « cop on the beat ».

[5] Pirates and Emperors, p. 117.

[6] Fateful Triangle, p. xii.

[7] Left Hook, Feb, 4, 2004.

[8] The Fateful Triangle, p.20.

[9] Ibid., p. 21 ; MEI, p. 176.

[10] À une époque, il convient de le rappeler, où le principal fournisseur d’armes à Israël était… la France (et non les États-Unis !

[11] Ibid, p.21, Hegemony or Survival, Henry Holt, New York, p. 264.

[12] Camille Mansour, Beyond Alliance : Israel and US Foreign Policy, Columbia University, New York, 1994, p. 103-104.

[13] Ibid., p. 103-104.

[14] Seth Tillman, The United States and the Middle East, Indiana Univ., Bloomington, 1982, pp. 52-53.

[15] Fateful Triangle, p. 535.

[16] A.F.K. Organski, The $36 Billion Bargain, Columbia Univ., New York, 1990, p. 228.

[17] Jim Lobe, « Chicken Hawks as Cheer Leaders », Foreign Policy In Focus, www.fpif.org, 2002.

[18] Harry Kreisler, US Foreign Policy and the Search for Peace in the Middle East : Ian Lustick in Conversation with Shibley Telhami, Anwar Sadat Chair for Peace and Development, University of Maryland, College Park ; Nov. 8, 2001.

[19] Rome and its Belligerent Sparta, www.bethlehemmedia.net/features.htm.

[20] Fateful Triangle, p. xii ; Middle East Illusions, p. 177.

[21] Ibid., p. xiii.

[22] Mansour, op. cit., p. 111.

[23] Pirates and Emperors, op. cit.

[24] Hersh, op.cit., p. 270.

[25] Cheryl Rubenberg, Israel and the American National Interest, Univ. of Illinois. Urbana and Chicago, 1986, pp.6-7.

[26] Ibid., p. 330.

[27] Tchuzpah : culot monstre, en hébreu.

[28] Middle East Illusions, p. 229.

[29] Ha’aretz, March 6, 1991.

[30] Towards a New Cold War, Pantheon, New York, 1982, p. 231.

[31] The New Intifada, p. 10

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