mercredi 23 avril 2008

Le néoprotectionnisme menaçant d'un Oncle Sam inquiet

Par David Barroux article original

Après avoir été victimes des « néoconservateurs », les Etats-Unis sont désormais menacés par une nouvelle race d'idéologues : les « néoprotectionnistes ». Si on en croit les propos de la campagne présidentielle, ceux-là échangeraient bien le conflit irakien contre une bonne vieille guerre commerciale. Les électeurs de Pennsylvanie qui se déplaceront aujourd'hui pour tenter de départager Hillary Clinton et Barack Obama dans la course à l'investiture démocrate ne peuvent le nier : quel que soit le candidat démocrate retenu, il y a fort à parier qu'il se fera le champion d'un protectionnisme commercial comme on n'en a pas connu depuis plus d'un demi-siècle.

Le Congrès démocrate vient déjà de refuser d'envisager de valider un accord de libre-échange sans réelle menace commerciale avec la Colombie. Le président sud-coréen, en voyage la semaine dernière à Washington dans l'espoir de faire avancer la cause d'un accord de libre-échange américano-coréen, est lui aussi reparti les mains vides. Et, après le Congrès, c'est bien la Maison-Blanche qui, en 2009, risque de basculer dans le camp du repli sur soi.

Tout politicien américain cherchant à être élu le sait : taper sur les Chinois manipulateurs de devises, les Japonais spécialistes du « dumping » ou les Européens sournois subventionneurs d'industriels sont les plus sûres méthodes permettant de récolter quelques voix. En cette campagne présidentielle 2008, les candidats démocrates ont néanmoins franchi un nouveau palier dans l'art de diaboliser les échanges internationaux. Vouloir forcer les Chinois à réévaluer le yuan, les Japonais à relever leurs prix ou les Européens à cesser leurs aides « illégales » ne suffit plus. Barack Obama et Hillary Clinton vont plus loin, allant jusqu'à demander une renégociation d'un accord de libre-échange déjà entré en vigueur comme l'Alena (Accord de libre-échange nord-américain) qui a donné naissance depuis près de quinze ans à un gigantesque marché commun réunissant les Etats-Unis et deux de ses principaux partenaires commerciaux, le Canada et le Mexique. En caricaturant à peine, c'est un peu comme si Barack Obama et Hillary Clinton, s'ils étaient français, demandaient que la France envisage de sortir du Marché commun ou en renégocie au moins les grandes lignes. A l'heure où ils s'affrontent pour savoir qui d'entre eux est le plus protectionniste et où ils n'ont pas hésité, chacun, à sanctionner des conseillers de leurs équipes de campagne qui avaient eu le malheur de tenir discrètement des propos pro-libre-échange, les démocrates n'ont plus qu'un thème en tête : il faut sauver le « made in America ».

Qu'un pays en campagne électorale s'interroge sur les mérites réels ou supposés d'une globalisation sans garde-fous peut bien sûr se concevoir. Mais qu'un tel débat puisse être caricaturé à ce point et être habillé dans des faux-semblants a quelque chose de paradoxal. Quand les démocrates refusent d'envisager de nouveaux accords de libre-échange en mettant en avant la défense de l'environnement ou la défense de la cause des syndicalistes, ils sonnent faux. Première puissance économique de la planète n'ayant cessé de tirer parti de la croissance des échanges mondiaux, les Etats-Unis sont en effet les grands gagnants du commerce mondial. En dépit de leur déficit commercial, les Etats-Unis restent l'un des champions mondiaux des exportations. Et, si le déficit américain se creuse, c'est parce que, mieux que n'importe quelle autre puissance, l'Amérique arrive à acheter à crédit des biens que d'autres produisent à des prix de plus en plus compétitifs.

La mondialisation a, d'un côté, enrichi les Américains et dopé leur pouvoir d'achat. De l'autre, elle leur permet de vivre à crédit en consommant auprès du monde entier dans leur propre monnaie, qui ne cesse de se dévaluer. Certes, en Amérique comme partout ailleurs, les bienfaits de la mondialisation sont diffus, partagés inéquitablement par tous et donc difficiles à saisir alors que les aspects négatifs des délocalisations sont, eux, extrêmement localisés et faciles à mesurer. Les adversaires de l'Alena peuvent ainsi mettre l'accent sur les 3 millions d'emplois industriels perdus aux Etats-Unis depuis le milieu des années 1990, mais ils oublient d'indiquer que la production a progressé de près de 25 % en raison des gains de productivité (les emplois auraient donc peut-être été détruits de toutes les façons) et surtout que, sur la même durée, l'Amérique a créé plus de 25 millions d'emplois dans les services.

Le paradoxe est d'autant plus fort que rarement l'Amérique aura eu autant besoin de s'ouvrir sur le reste du monde. A l'heure où les principaux moteurs intérieurs de l'économie américaine sont en panne, seules les exportations permettent en effet aux Etats-Unis d'éviter de plonger dans une récession sévère. Et si le système financier américain n'a pas implosé malgré ses nombreux excès, c'est bien parce que les fonds souverains étrangers ont accepté depuis la fin 2007 de réinvestir leurs dollars aux Etats-Unis pour recapitaliser massivement les banques de Wall Street. Comme lors de chaque phase d'affaiblissement du dollar, on sent de plus déjà les entrepreneurs internationaux désireux d'investir dans une Amérique qui reste, de loin, la première terre d'accueil de l'investissement étranger. Ils achètent ou envisagent d'acheter des sociétés américaines. Demain, ils investiront comme les constructeurs automobiles japonais et allemands dans les années 1990 dans des usines américaines afin de produire sur place, sur ce qui reste le premier marché du monde. L'Amérique peut-elle se payer le luxe de fermer ses frontières ? Les Américains menacés par l'inflation veulent-ils vraiment payer plus cher des produits importés ?

Alors que les oiseaux de mauvais augure multiplient les mises en garde en annonçant que la crise actuelle est la pire depuis les années 1930, une partie de la classe politique américaine joue avec le feu. Car, si, après 1929, la crise boursière et bancaire américaine s'est transformée en crise économique mondiale durable, c'est en partie pour une raison que les historiens ne contestent plus. En imposant des barrières douanières, l'Amérique protectionniste a alors aggravé une crise déjà terrible. Espérons donc qu'en ce début de XXIe siècle, une fois la fièvre de la campagne passée, les démocrates ne mettront pas leurs menaces protectionnistes à exécution. En 1992, lors d'une précédente présidentielle, l'adversaire du libre-échange s'appelait Ross Perot. Le bras de fer sur ce thème avait d'ailleurs divisé le camp conservateur et ainsi facilité la victoire d'un certain Bill Clinton. Les démocrates devraient peut-être s'en souvenir.

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