samedi 26 avril 2008

Face aux défis énergétiques, le constat d’impuissance de l’Union Européenne

article original

« La construction européenne (...) a conduit à limiter strictement les interventions des Etats membres dans les secteurs qu’ils jugent « stratégiques », sans parvenir pour l’heure à dégager une définition claire des « intérêts stratégiques européens » en matière économique. » L’économisme d’inspiration néolibérale qui sert de credo aux institutions européennes et l’indispensable culture du consensus requise à Bruxelles, ont relégué le politique à la portion congrue. Adepte suiviste du dogme selon lequel le marché allait apporter des solutions à tout, contrainte par nature à rechercher le plus petit commun dénominateur - tout en en faisant croître celui-ci sans cesse de 15 à 25 puis 27, l’Europe s’est imprudemment privée de la possibilité de conduire une politique volontariste pilotée par les pouvoirs publics, au moment même où celle-ci devient plus urgente que jamais sur les fronts de l’énergie et du réchauffement climatique. Nécessité faisant loi, ces faiblesses structurelles commencent à être perçues. Mais dans le monde de concurrence énergétique acharnée qui se dessine sous nos yeux, il est déjà bien tard. En contrepoint au texte de Michael Klare, nous reprenons ici les pages traitant des problèmes énergétiques extraites du récent rapport « l’Europe et la mondialisation », préparé par Laurent Cohen-Tanugi, à la demande du gouvernement.

La géopolitisation de la mondialisation

Si la mondialisation demeure portée par des dynamiques d’ouverture économique (accès à l’économie de marché et libéralisation des échanges), voire politiques (progrès vers la démocratie), elle se caractérise également par deux phénomènes marquants, à savoir l’émergence de nouvelles grandes puissances économiques et politiques non européennes et non occidentales, ainsi que le développement d’une série de tensions identitaires et géopolitiques. C’est notamment parce qu’elles se situent au point de rencontre de ces deux problématiques économique et politique que les questions énergétiques ont d’ores et déjà accédé au premier rang des préoccupations internationales au cours de la période récente.

La localisation de la majeure partie des ressources énergétiques sur un arc de crise géopolitique (Golfe persique, Asie centrale, Afrique du Nord, Caucase, Afrique musulmane...) favorise les stratégies de puissance des pays producteurs, qui l’utilisent comme arme politique (Russie, Golfe, Iran, Venezuela, etc.), et le déploiement d’une intense « diplomatie énergétique » de la part des pays consommateurs (Chine, Etats-Unis...) pesant sur les cours mondiaux.

Cette dramatisation des enjeux énergétiques constitue un signe avant-coureur de la politisation croissante des stratégies économiques au niveau mondial et confère à la mondialisation une dimension géopolitique aujourd’hui beaucoup plus marquée qu’en l’an 2000. Porteurs d’une histoire nationale prestigieuse et structurés par une forte tradition étatiste, les grands pays émergents utilisent leur essor économique dans le cadre de stratégies de reconquête de puissance : c’est notamment le cas de la Russie de Vladimir Poutine ou, de manière plus discrète, de la diplomatie économique chinoise en Afrique et en Asie centrale, ou encore de l’acquisition programmée d’actifs industriels occidentaux majeurs par des entreprises et des fonds souverains de pays émergents.

On peut dès lors se demander si l’Union européenne est aujourd’hui suffisamment armée pour faire face à cette nouvelle donne, dès lors qu’elle ne dispose pas des mêmes instruments que les nations-continents qui sont à la fois ses partenaires et ses concurrents :

- la construction européenne a en grande partie été fondée sur la volonté d’encadrer l’usage potentiellement destructeur des souverainetés nationales, tant sur le plan politique qu’économique ; elle a conduit à limiter strictement les interventions des Etats membres dans les secteurs qu’ils jugent « stratégiques », sans parvenir pour l’heure à dégager une définition claire des « intérêts stratégiques européens » en matière économique (l’adoption en 2003 d’une « Stratégie européenne de sécurité » n’a pas eu de suites visibles sur le plan économique) ;

- la construction européenne a en grande partie reposé sur la production de règles de droit communes plutôt que sur l’institution d’acteurs capables de produire des choix politiques adaptés à l’évolution du contexte ; l’Union européenne ne dispose aujourd’hui que de quelques outils d’action « intégrés » (politique de concurrence, politique commerciale, politique monétaire) dont l’usage est confié à des organes dont les statuts et missions sont définis par les Etats membres ;

- sur le plan institutionnel, la construction européenne a enfin conduit à la mise en place d’une « souveraineté partagée » entre Etats membres d’une part, entre institutions de l’Union européenne d’autre part, dont l’exercice est beaucoup plus complexe et plus lent que celui en usage dans les pays fortement centralisés (et parfois autoritaires) ;

- sur le plan diplomatique, enfin, l’Europe projettes ses valeurs de paix, de droit, son credo multilatéral sur un monde marqué par le retour des intérêts de puissance et de la realpolitik.

Cette géopolitisation de la mondialisation peut cependant ouvrir des opportunités nouvelles pour l’Europe. Nombre de pays émergents relèvent en effet d’une proximité géographique et historique qui fait potentiellement de l’Europe un partenaire stratégique privilégié : Russie et Républiques caucasiennes, pays de l’arc méditerranéen en Afrique et au Moyen Orient.

Le basculement de l’économie mondiale vers l’Asie risque, certes, d’altérer la prééminence de l’économie transatlantique au profit d’un duopole américano-asiatique. Mais le recul relatif de la puissance américaine sur les terrains diplomatique et économique offre à l’Europe l’occasion de devenir un troisième pôle crédible et stabilisateur dans la géopolitique mondiale, si elle s’en donne les moyens.

Ces évolutions constituent en tout état de cause un enjeu de grande ampleur pour l’Union européenne à l’horizon 2010 et au-delà.

Les défis énergétiques et climatiques

L’accession déjà signalée des questions énergétiques au premier rang des préoccupations internationales constitue un autre défi, dont l’Union européenne a déjà en partie pris la mesure en annonçant le lancement d’une « politique intégrée énergie-climat » lors du Conseil européen de mars 2007. Il lui revient désormais de donner corps à cette politique, dans un contexte international marqué par une incertitude croissante quant à la sécurité, à la pérennité et au coût des approvisionnements énergétiques, sur fond de réchauffement climatique. Le taux de dépendance énergétique de l’Union européenne s’élève à 56,2%, même si au sein de chaque Etat membre, il varie de -58,8 % pour le Danemark à 105,5% pour Chypre.

La forte hausse du cours des matières premières sur la période 2000-2007 indique tout d’abord que la mondialisation n’est pas seulement un choc d’offre déflationniste pour l’Union européenne, mais qu’elle peut aussi être un choc de demande inflationniste. L’enjeu de l’accès aux matières premières devient d’autant plus stratégique pour les pays de l’Union européenne, qui dépendent aujourd’hui à 55% d’approvisionnements extérieurs et devraient en dépendre à 80% en 2030 : cela renforce la nécessité d’adopter des positions conjointes (y compris avec les Etats-Unis) plutôt que de négocier en ordre dispersé avec les pays producteurs.

Sur la politique énergétique française

La politique énergétique nationale a été dominée, par le passé, par les hydrocarbures.

A chaque période de doute sur la sécurité l’approvisionnement et d’envolée des prix, des politiques volontaristes étaient mises en place. La détermination à les poursuivre s’estompait lorsque les risques et les prix baissaient.

Le prix du pétrole va-t-il durablement s’établir au-dessus de 100 $ le baril ? Y a-t-il des risques de voir les réserves pétrolières se tarir à moyen terme, et la production atteindre le peak oil ? Les intérêts de puissance géostratégiques mettent-ils en danger la sécurité de nos approvisionnements ? Ces questions sont importantes. Mais elles sont désormais secondaires.

A l’avenir, la politique énergétique de la France ne sera plus dominée par les hydrocarbures mais par la lutte contre le réchauffement climatique. Même si la question de l’accès à un pétrole peu cher se réglait positivement, il faudrait en réduire très fortement l’utilisation afin de limiter l’émission de gaz à effet de serre.

Cette politique énergétique nouvelle est à bâtir. Ses objectifs sont fixés. Pour 2020, conformément aux conclusions du Conseil européen de mars 2007 : économiser 20 % de la consommation énergétique par rapport aux projections de 2020 ; atteindre une proportion de 20 % d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale ; atteindre une proportion de 10 % de biocarburants dans la consommation totale d’essence et de gazole pour le transport. Et pour 2050, selon la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique : le « facteur 4 » européen, c’est-à-dire la division par quatre des émissions européennes de gaz à effet de serre.

La France a les moyens d’atteindre ces objectifs : elle possède les technologies et les entreprises pour progresser rapidement. Elle y a aussi un fort intérêt économique : son savoirfaire pourra s’exporter en Europe et dans le monde.

Quel contenu donner à cette politique énergétique nouvelle, en rupture avec le passé ?

Le rapport du Centre d’analyse stratégique, intitulé « Les perspectives énergétiques de la France 2020-2050 », et réalisé par une commission d’experts présidé par Jean Syrota, fournit les éléments détaillés de cette politique.

La Mission préconise la mise en oeuvre des recommandations de ce rapport, dans le cadre d’un « plan énergie » porté par l’Etat et les collectivités locales. Ce « plan énergie » se structurerait autour de quatre axes :

- un soutien public ambitieux à la recherche sur les « énergies propres », autour de quatre axes : captage et stockage du CO2, conception de bâtiments à « énergie positive », production de biocarburants 2ème génération, nucléaire 4ème génération ;

- la réduction de la consommation énergétique dans les transports : mesures fiscales désincitatives (augmentation de la TIPP au titre du changement climatique, rétablissement d’une vignette selon les émissions des véhicules...), développement de véhicules plus propres, développement du covoiturage et des transports en commun, planification de l’usage de l’espace... ;

l’amélioration du bilan énergétique de l’habitat, domaine où la France est très en retard : obligations réglementaires renforcées pour tout nouveau bâti, incitations à la « rénovation énergétique » - voire obligation de « ravalement thermique » - pour le bâti existant ;

- le développement de la production d’énergies renouvelables, à travers des incitations financières et réglementaires fortes.

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