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L’histoire des grandes chutes d’Etat peut être résumée à la succession de quelques phases critiques cruciales, pour peu que l’on isole la dimension économique du phénomène. La première phase est un constat de dérapage structurel des finances publiques : les pouvoirs publics sont incapables de stopper la dérive des finances publiques, ayant épuisé les différents moyens de rééquilibrer les comptes. Généralement, plus un Etat étend son emprise au-delà de ses frontières – sectorielles, géographiques et institutionnelles - naturelles, plus le coût de son fonctionnement devient exorbitant, ce qui est la caractéristique même des régimes collectivistes, centralisés ou impérialistes.
Cette situation budgétaire est en elle-même le symptôme d’une crise plus grave qui montre que ceux qui se proclament les « représentants du peuple » sont devenus incapables de gérer l’argent commun – le fameux « bien public »-, c’est-à-dire celui qui a justement été prélevé sur le travail de ce même peuple. Cette dérive des dépenses publiques, qui témoigne d’une emprise des pouvoirs administratifs sur le système, se nourrit d’une tendance à l’augmentation des prélèvements fiscaux et sociaux.
Certes, quand la taxation ne suffit pas à assouvir les appétits d’une administration qui ne veut pas se réformer, alors les gouvernements manipulent la monnaie. C’est la deuxième phase que l’on pourrait appeler l’âge de l’inflation. C’est, nous dit-on, devenu impossible en Europe avec une Banque Centrale indépendante. Mais le fait que la France ne se sente pas liée par le pacte de stabilité, qui lui imposait pourtant de respecter les critères de gestion définis à Maastricht, revient d’une certaine manière à mettre les autorités monétaires devant le fait accompli. Si la France diffère sans cesse la mise en œuvre des réformes de son appareil étatique, la Banque Centrale européenne se trouvera dans une obligation de créer de la monnaie pour venir au secours des finances publiques du pays en difficulté.
Devant cette perspective aisément prévisible, et considérant notamment l’incapacité de la France à anticiper la moindre réforme, on comprend l’hésitation de certains pays, traditionnellement mieux gérés et sans aucun doute européens, à intégrer la monnaie unique européenne.
A l’époque de la Rome déclinante, l'empereur manipulait sans scrupule la monnaie car il n’y avait pas de séparation des pouvoirs : l’empereur était tout puissant. Mais la puissance illusionne : l’empereur pouvait certes créer de la monnaie mais il ne pouvait créer de la richesse. Cette création monétaire n’était qu’un instrument de spoliation déguisée, l’inflation qu’elle nourrissait jouant le même rôle confiscatoire qu’un impôt. A quelques siècles d’intervalle, dans l’Allemagne de Weimar, la planche à billet tournait sans mesure engendrant l’hyper-inflation la plus fatale que l’Allemagne ait jamais connue.
Quand l’inflation se déchaîne, les pouvoirs publics en viennent à des mesures drastiques de contrôle des prix avant que la flambée généralisée ne se transforme en révoltes sociales. De telles mesures finissent par briser le fonctionnement des marchés, les prix perdant toute leur valeur informationnelle. Quand on ne connaît plus le « prix des choses » puisque les prix sont devenus fous, on ne peut plus prendre les bonnes décisions. Ainsi les comportements spontanés sont neutralisés, paralysant à son tour l’économie qui résulte toujours et seulement des décisions librement prises par des agents motivés par la recherche de leur bien-être.
L’Etat, observant cette paralysie - et feignant de n’être qu’un observateur -, propose de se substituer à l’initiative individuelle. C’est la phase de la débâcle. Vient alors le temps de la remise en « ordre » au sens littéral du terme. La société va se fonder sur la mise en place d’ordres ou de castes : c’est la politisation extrême de la société. En effet, la monnaie a tellement été pervertie par les manipulations et dévalorisée par l’inflation que les agents n’ont plus confiance aux unités monétaires. Or, la monnaie est l'instrument de la liberté individuelle. Sans monnaie, la place de chacun dans la société doit être imposée par le haut.
Pour son malheur, le peuple va assimiler le symptôme (la monnaie dévalorisée) au mal lui-même (la manipulation par les dirigeants qui ont outrepassé leurs pouvoirs légitimes). C’est le temps de la diabolisation de l’argent qui fut un des thèmes de prédilection d’Hitler pour conquérir la sympathie des foules. Et comme il faut bien vivre, une économie en nature se met en place. C’est le règne de l’économie souterraine en U.R.S.S. ou de la dollarisation en Argentine. Et c’était l’époque de la « fiscalité en nature » au moment de la chute de l’empire romain.
Par ce dernier procédé, chacun est affecté à un service fixé : on travaille pour l’Etat gratuitement et gare aux mauvais citoyens qui voudraient se soustraire à cette œuvre éminemment sociale ou citoyenne.
Notons que le gouvernement Raffarin ne faisait pas autre chose quand il préconisa de supprimer un jour férié pour sauver le système de retraite : comme on ne peut pas indéfiniment augmenter le poids des charges en monnaie et comme on s’obstine à ne pas vouloir changer de système, alors on augmente le poids des charges en nature !
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